| |
Roxame,
artiste-peintre virtuelle
Développée par Pierre
Berger
Présentation au Salon de mai de Maisons-Laffitte, le
22/5/2004
Roxame est un logiciel, fonctionnant sur un ordinateur
ordinaire, et créant des oeuvres sans intervention de son auteur. Bien sûr 'est
lui qui a écrit le programme. Mais, une fois la machine lancée, il s'interdit de
prendre part à l'élaboration de l'œuvre jusqu'à son achèvement. Pourquoi un tel
programme ? Pour le plaisir de la création et de l'innovation, des applications
commerciales (?), pour la philosophie...
Roxame, comment ?
Travailler sur les images de "la nature"
Roxame peut travailler à partir de documents numériques, obtenues à partir d'un
scanner ou d'un appareil de photo numérique. Elle peut combiner une riche
collection de "filtres" comme ceux que l'on trouve sur les logiciels pour
graphistes : changements de luminosité, contraste, saturation, teintes. Elle
peut aussi recadrer l'image, pour n'en conserver par exemple que les parties de
teinte vive, ou éliminer les zones vides.
Maisons-Laffitte, travaillée "au couteau" et en
"pointillisme"
Mais elle peut aussi travailler ces images "réalistes" pour obtenir une peinture
"au couteau", une gravure
coloriée, un rendu pointilliste.
Ces opérations successives s'organisent en "styles", dont une trentaine sont
actuellement au point. Mais si Roxame s'arrêtait là, elle resterait encore bien
proche de ce que peut faire un photographe dans son laboratoire ou un graphiste
avec les logiciels habituels. Or elle veut aller plus loin !
Créer des formes abstraites
Le
hasard, et la règle, peuvent se faire tantôt sombres et durs, tantôt lumineux et
tendres.
Roxame peut se passer de photographies pour créer. Elle a sa disposition un
catalogue de formes géométriques de base, qu'elle place successivement et
combine pour obtenir une image. Si l'écran de l'ordinateur est allumé, on peut
voir peu à peu la peinture se construire et s'affiner, jusqu'au moment où Roxame
considère que l'œuvre est finie, la sauvegarde sur disque et passe à l'œuvre
suivante. Chacune de ces formes est d'abord définie par une série de
caractéristiques : position sur l'œuvre, taille plus ou moins grande, proportion
plus ou moins verticale ou horizontale, épaisseur du trait...
Un point-clé est le "style de tracé", la façon de tirer les traits d'un point à
un autre, ou de dessiner la frontière d'une surface. C'est là, particulièrement,
qu'il est intéressant de marier le hasard et la règle se marient pour chercher
le meilleur entre la ligne géométrique pure, et raide, et un parcours au hasard
qui peut devenir chaotique.
Entre les deux, Roxame peut choisir entre plusieurs formules (algorithmes,
disent les informaticiens) qui expriment une sorte d'incertitude sur le chemin à
prendre, limitée par une orientation persévérante vers le but. Cette
incertitude, cette "ivresse" peut varier d'une oeuvre à l'autre, d'une phase de
l'œuvre à l'autre. De même, le logiciel peut jouer sur le flou, combiner
différentes formes de dégradés...
Combiner le figuratif et le géométrique
La
photo d'origine n'est ici qu'une source "d'inspiration" pour la couleur et les
formes.
Les oeuvres présentées cette année à Maisons-Laffitte montrent le résultat de
cet effort pour dépasser aussi bien le "figuratif" que l'abstrait" pour obtenir
des images d'un type nouveau, qui seraient impossibles à réaliser manuellement,
même avec les logiciels actuels du commerce, car ils exigent des centaines de
milliers, voire des millions de choix aléatoires et un travail méticuleux sur
des région. Les photos d'origine ne sont plus du tout reconnaissables dans les
oeuvres finales. Leur rôle se limite à fournir des paramètres de base pour la
structure d'ensemble et les couleurs. Mais on compte bien aller beaucoup plus
loi dans cette sorte d'alchimie.
L'avenir de Roxame
Née en Normandie pendant les vacances de l'été 2001, écrite en C++ (avec Borland
C++ Builder), progresse peu à peu. Elle répond aux défis successifs que lui
lance son créateur. Le premier était de faire un oeuvre à la fois belle et
surprenante. La réponse fut Débarquement-5. Le deuxième était de plaire à
d'autres qu'à son auteur et aux amis complaisants. La réponse fut l'entrée à La
maison d'art, à Us en Vexin, puis l'acceptation au salon de mai 2003 de
Maisons-Laffitte, ainsi que plusieurs articles de presse. Puis une participation
invitée au salon de Marines au printemps 2004. Le troisième était de réaliser
des oeuvres impossibles pour un peintre humain. C'est fait avec les oeuvres de
cette année.
Devant elle, aujourd'hui, quelques défis techniques. Le premier est d'entrer
dans le domaine de la sémantique, de la reconnaissance des formes, de la
génération d'objets et plus seulement de formes élémentaires. Il existe déjà,
dans les laboratoires et quelques produits industriels, des générateurs de
modèles, par exemple pour les paysages (usages militaires), les plantes, le
corps humain (logiciels "poseurs"). Ces techniques pourraient être intégrées par
Roxame dans le cadre de son travail créatif.
De là, le travail pourrait s'approprier les outils de la linguistique. Savoir
répondre au petit prince qui lui demandera : "dessine-moi un mouton", satisfaire
à la définition de Delacroix "un peintre est quelqu'un qui sait dessiner un
cheval tombant d'un échafaudage". Dans cette voie, il n'y a pas de limite. Pour
Léonard de Vinci, un peintre devrait avoir la connaissance universelle. Pour
aller dans cette voie, il faudra sans doute utiliser d'autres modes de
programmation que le bon vieux C++, procédural et de bas niveau.
Connaissance... et pourquoi pas émotion ? Les scientifiques japonais (dont par
exemple le laboratoire de Sony à Paris) travaillent activement à ce type de
modélisation. Progressivement, entre les instructions du programmeur, les images
de la nature et les tirages aléatoires, Roxame pourrait créer de plus en plus à
partir de quelque chose comme ses "états d'âme"... Mais, au fond, pour qui
travaille-t-elle ?
Roxame, pour qui, pourquoi ?
Pour l'amateur d'art, une nouvelle forme de beauté
On peut se demander s'il y a encore une place pour la peinture dans l'art
contemporain et à venir. La visite des galeries et des salons, y compris la
prestigieuse Fiac, laisse un certain scepticisme. Déjà exclue du monde des
représentations utilitaires ou familiales par la photographie, la peinture n'est
plus le lieu où peuvent s'exprimer les grandes émotions ou aspirations des
individus ou de la société. Ce rôle est désormais rempli les médias
audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion.
Un robot, un logiciel qui peint, pourrait-il prendre le relais à l'heure où le
pinceau n'est plus qu'un outil d'amateur pour peintres du dimanche ou pour
amuser les touristes de Montmartre ou de Honfleur ? Certainement pas "si l'on
croit que l'art est en son essence l'expression d'une individualité géniale
servie par une compétence artisanale d'élite", selon la formule Jean-François
Lyotard. Mais pour ce philosophe, bien au contraire "Que le mécanique et
l'industriel viennent se substituer à la main et au métier, cela n'était pas en
soi une catastrophe". Il pense à la perspective de la Renaissance et surtout à
la photographie. Mais pourquoi ne pas prolonger sa pensée. Pourquoi ne pas
espérer qu'un projet comme Roxame, pose à l'art un défi du même ordre, et aussi
passionnant.
Un ordinateur (en tous cas aujourd'hui et pour longtemps encore) n'a pas, il
s'en faut de très loin, la richesse émotionnelle et intellectuelle d'un peintre
humain. En revanche, il n'a pas ses paresses, ses maladresses, ses tabous. Il
peut donc, sans état d'âme et sans fatigue, avec une précision déterminée (le
pixel), élaborer de nouvelles images sur de nouveaux critères. Et par là ouvrir
de nouveaux fronts à la création picturale.
Dans les moments où elle oublie la modestie, Roxame ne désespère pas d'apporter
quelque chose de radicalement neuf sur le terrain même de la peinture : "une
surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées" (Maurice
Denis) .
Ces oeuvres ne demandent pas au spectateur le même type d'effort que la peinture
traditionnelle. L'art de Roxame n'est pas "la nature vue à travers un
tempérament" (Zola), mais plutôt la possibilité de "résonances inédites"
(Malraux). Inutile de "chercher à comprendre" derrière tel ou tel trait, telle
ou telle nuance, l'intention ou l'émotion, consciente ou inconsciente, d'un
artiste traduisant ses émotions. Il faut plutôt chercher la beauté comme dans
ces "pierres à paysage" ou ces bois flottés dont la forme ou la couleur
éveillent l'imagination et la sensibilité.
Pour l'artiste, une nouvelle forme de création
Pour le créateur de Roxame, et pour ceux qui se lanceront des aventures
analogues (actuellement, à notre connaissance, seul le peintre américain Harold
Cohen et une équipe chinoise (pour l'animation cinématographique) explorent ce
mode de création "autonome), il s'agit d'une aventure passionnante.
Non que la peine manque au rendez-vous. Par rapport au peintre traditionnel, il
n'y a plus à se battre avec les caractéristiques de chaque pigment ou la raideur
des poils d'un pinceau. En revanche, il faut se concentrer sur le travail
abstrait et méticuleux de l'écriture de code, où l'omission d'une virgule suffit
à tout "planter". Mais au moins peut-on se colleter directement avec les
composants graphiques d'une oeuvre : teinte, saturation, luminosité,
combinaisons additives et soustractives, formes et composition.
Point essentiel : tout développement peut servir un nombre indéfini de fois. Et
ce qui est coulé dans le langage de programmation n'a plus à être réappris. Ce
capital pourra se conserver indéfiniment et se transmettre sans perte. Ce qui
ouvre donc des perspectives "commerciales" d'un type nouveau.
Pour le philosophe de l'art et des techniques
Mais bien entendu, ce développement est aussi une provocation "post-humaniste"
dans le débat qui oppose depuis les origines de l'informatique (et même depuis
l'origine des machines, si loin qu'on remonte dans l'histoire), les
"réductionnistes" pour qui l'homme n'est qu'une forme particulière de machine à
ceux qui défendent sa transcendance radicale. Plutôt que de chercher une preuve
théorique dans un sens ou dans l'autre, Roxame est un moyen d'explorer les
frontières, d'y travailler les concepts de hasard, d'émergence. Dans quelle
mesure peut-on imiter la manière d'un peintre, c'est à dire montrer jusqu'à quel
point il s'est lui-même réalisé dans un "procédé" ?
Peut-il sortir d'un ordinateur autre chose que ce qu'on y met ? Oui et non. Une
chose est sûre : ce que produit Roxame est souvent radicalement inattendu par
son programmeur.
Et pour vous ?
Merci d'être venus jusqu'aux profondeurs du parc de Maisons-Laffitte.
Laissez-vous séduire par les oeuvres de Roxame. Vous pouvez soutenir l'effort de
son créateur en acquérant une estampe. Mais vous pourriez aussi devenir
partenaire développeur, ou faire oeuvre de créativité commerciale pour une
technologie qui rentre mal dans les cadres classiques des marchés de l'art ...
|