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Roxame, le robot artiste peintre Roxame est née au confluent de deux passions, remontant toutes deux à mes années de collège. En pensionnat dans ce lieu inspiré qu'est l'Abbaye de la Pierre-qui-Vire, je partageais avec d’autres élèves, un régime monastique adapté à notre jeune âge. C’est là que j’ai appris l'aquarelle, auprès du Père Luc, lui-même disciple de Maurice Denis. C’est là également que j’ai affirmé un engouement pour les machines, en construisant à l’occasion, de petits moulins sur le ruisseau voisin. A la fin de l’année, le directeur de l'école m’a remis un livre de prix revêtu de cette dédicace : « Rappelez-vous, Pierre, que la plus belle machine à inventer, est celle qui rend les hommes heureux ! ». Adulte, j'ai réussi à satisfaire mon goût des machines en y consacrant ma vie professionnelle. Lorsque j’en avais le loisir, je réalisais quelques dispositifs amusants. C’est ainsi que fin 1979, Max, le Robot « égoïste et sarcastique » a vu le jour. Il s'appelait Max, pour « maximisation de variété ». Son seul idéal : devenir riche et sans rien faire ! Méditatif, et mendiant, Max manifestait un comportement assez avare et égocentrique qui l’amenait à réclamer aux passants : « T’as pas cent balles » ? A chaque rencontre, il « couinait » et se mettait à clignoter « Mettez 1 franc ! ». Lorsque le passant s’exécutait, il dévoilait son état « d’ivresse », aux dépens du payeur : des rires moqueurs qui se terminaient en affichant… « Encore un pigeon ! ». Faute de mieux, il écoutait la radio en choisissant la plus amusante. Mais ce qu’il préférait, c’était qu’un interlocuteur lui parle dans le micro, ou, toujours bon vivant, qu’on lui demande de faire de la musique. Si par malheur il se sentait en danger ou était dérangé par un coup frappé à la porte de l’atelier, il se mettait à protester bruyamment. Parallèlement, je faisais aussi de la peinture et vendais assez bien des aquarelles dans de petits salons en Normandie. Mais au fil des ans, les heures passées devant un chevalet à me battre, pour trouver la perspective d'une toiture, choisir le bon pigment, arbitrer les contradictions de la couleur naturelle de chaque arbre avec les exigences de la perspective aérienne... à la fin, m'ennuyaient. D'autant que le résultat de tant d'efforts n'apportait rien de particulièrement nouveau, de radicalement original. En 2001, j'ai finalement lancé un projet qui réconciliait mes deux passions : Roxame, une petite soeur pour Max en quelque sorte. Avec une différence de taille, car elle travaille en tant qu’artiste peintre. Ni égoïste, ni sarcastique, elle affiche cependant, un caractère impertinent. Ne m’intéressant que si ses oeuvres étaient à la fois belles et inattendues, elle a dû faire preuve comme on dit dans le monde de l'intelligence artificielle, d’une forme « d'émergence ». Au départ, elle ne me surprenait certes pas, car je travaillais avec trop d’algorithmes aléatoires. Mais le pur hasard n'est pas plus intéressant que neige sur l'écran d'une télévision non connectée. « Le beau » émergea peu à peu car Roxame s’est mise à progresser. D'abord assez pour me faire plaisir. Puis pour intéresser quelques amis et ensuite, pour se faire accepter dans quelques galeries et salons. Ce qu’elle aimerait aujourd'hui, c’est entrer dans le grand « marché de l'art ». En effet, Roxame comme ses œuvres questionnent. Est-ce une machine ou un humain ? Ses œuvres sont-elles le fruit du programme ou du hasard ? Peut-on dire que Roxame est l'artiste ? Au moins en l'état actuel des choses et bien que j'aie tendance à la présenter comme telle, ce ne peut être qu'une métaphore. Ne serait-ce que par évidence technique : un logiciel de douze mille lignes de C++, tournant sur une machine dont les mémoires se mesurent en centaines de mégaoctets, ne peut se comparer au cerveau humain qui compte quelques cent milliards de neurones - et dont chacun (ou nombre d'entre eux) présente la complexité d'un ordinateur. Cependant en la concevant, je voulais Roxame radicalement différente des logiciels graphiques du marché. Plus humaine, dotée d’une interface homme/machine plus complète. En même temps, qu’elle héritait de mes connaissances, elle progressait et devenait autonome. Certains de ses « styles » sont purement aléatoires et totalement inattendus. Ils ne tiennent compte d'aucune image extérieure. On pourrait dire qu'ils sont plutôt « abstraits », dans la mesure où les algorithmes et la mise au point de leurs paramètres expriment ce que personnellement, j’estime être « beau ». D'autres jouent un rôle de « filtres », modifiant à peine, mais comme elle l’entend, le document d'origine qui lui est proposé. Les choses les plus intéressantes se passent dans la partie centrale de Roxame, là où les algorithmes se déploient à partir de la richesse d’informations fournie par un document extérieur. C'est dans cet espace qu'émergent les oeuvres les plus inattendues. Face à cet univers aléatoire, il revient au spectateur de construire, comme le dirait Yves Michaud, « dans une concentration visuelle » et « un temps suspendu », son propre voyage imaginaire. Mais que disent-elles ? Et que peut chercher le spectateur ? Les "intentions", voire le "tempérament" de Roxame ? A ce jour, dans mes lignes de programme, rien de tel n’y figure. Trois voies peuvent cependant être explorées : - Par exemple, une certaine harmonie de la composition graphique ou du jeu des couleurs, inspirés de mon expérience d'aquarelliste. Au début du projet, par exemple (et encore aujourd'hui pour certains styles), j'ai reconstitué sous forme électronique, le jeu des pigments que j'aimais choisir pour ma palette de peinture. - Pour les oeuvres qui partent d'une photographie, retrouver ce que pouvait être cette image, et le cas échant pourquoi je l'ai choisie pour entrer dans la banque d'images de Roxame ; - Enfin, essayer de donner un sens au fruit du hasard, ce qui n'est pas plus rationnel, mais non moins tentant, que de lire dans le marc de café ou les nombres tirés aux dés. Mais il n’est pas impensable, grâce aux progrès de la robotique dans les machines hiérarchisées, de doter Roxame d’un système « d’intentions », même si elles ne peuvent avoir le même sens que pour un être humain. Au-delà, elle pourra aussi exprimer des « émotions », thème que développent actuellement des laboratoires japonais comme Sony, autour de ses robots de compagnie. Mais Roxame pourrait manifester plus encore d’autonomie et d’audace, si : - elle disposait de ses propres « yeux », (au moins une caméra qu'elle pourrait orienter à sa guise, placée sur un véhicule autonome pour circuler et chercher seule « ce qui l'intéresse », - elle pouvait "peindre", au vrai sens du terme, avec puissance, soit en pilotant un pinceau avec un bras de type robot, soit en utilisant d'autres moyens (pistolet à peinture, gravure de type taille douce ou eau forte...) qui lui permettraient de donner à ses oeuvres toute l'épaisseur d'un tableau, avec ses différentes couches, ses glacis, ses effets, etc. Des développements dans cette direction ne posent pas de réels problèmes. D’autres cependant exigeraient des investissements importants en acquisition et mise au point de matériels. Les perspectives sont plus complexes pour le logiciel. Les coûts d'équipement sont ici assez modestes (un ordinateur de bureau et un compilateur de langage, actuellement C++Builder de Borland). En revanche, le temps à consacrer à Roxame est pratiquement infini. Au départ, il s’agissait de construire quelques générateurs aléatoires de formes et de couleurs, une interface homme/machine permettant de suivre le travail de Roxame et d’en perfectionner progressivement les algorithmes, puis une plate-forme technique assurant une autonomie minimale de fonctionnement : avec le lancement successif d'oeuvres nouvelles et leur sauvegarde sur disques une fois terminées. Peu à peu, se sont ajoutées, des routines pour charger des documents graphiques externes, ainsi qu’un début de base "linguistique". A la différence d'un peintre humain, dont la durée de vie est limitée (mais nous ne savons pas, si le progrès des neurosciences nous permettra peut-être un jour, de remplacer, les zones vieillies de notre cerveau avec autant de facilité qu'un cristallin ou une articulation de la hanche)… Roxame ne sera donc jamais terminée. Mais le développement de Roxame pourra être poursuivi tant que quelqu'un le souhaitera. L'art post-conceptuel dépasse l'idée de l'œuvre comme traduction d'un concept. Il déplace le concept vers la création elle-même. Et ce faisant, il propose sans complexes une nouvelle forme d'art contemporain. Il ne fait pas de doute que mon travail de création est bien différent de celui du peintre devant sa toile. Il y a là une abstraction radicale. Certes, je suis déchargé des contraintes, à la longue pénibles, du jeu spécifique de chaque pigment et de chaque liant, voire des caractéristiques propres aux marques utilisées. Je m’attaque aux composantes fondamentales de l'image : ton, saturation, luminosité. Détaché des composantes anecdotiques étrangères certes à la création. En revanche, je dois prendre en charge les caractéristiques de son langage de programmation. Et surtout, chercher les erreurs. Je voudrais peindre pour réconcilier les hommes et leurs machines. La seule manière que j'ai trouvée, finalement, possiblement féconde, est de faire entrer la machine même dans le processus de création picturale. L’esthétique des œuvres de Roxame s’inscrit indéniablement au registre de l’art contemporain, avec cette particularité, que ses œuvres sont à la portée de tous, loin du courant élitaire qui caractérise aujourd’hui ce mouvement. Avec l’aide de Roxame, l’art contemporain peut se ressourcer et devenir un art populaire capable de développements infinis, pour la plus grande joie de tous… et juste pour le plaisir.
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